mercredi 20 août 2014

Sereine

J'enfonce ma lame dans sa chair, sereine.
Tranquillement, elle fait son chemin. J'entends le bruit mat de la lame qui perce les poumons et effleure le cœur.
Elle n'est pas surprise, elle n'est pas en colère. Elle se contente de me sourire et me tend la main. Je serre mes deux poings sur le manche de ma lame et tourne de quelque degrés. Sa main saisit mon épaule.
«  Ma fille... » Me dit-elle.
« Maman... » Réponds-je, avant qu'elle n'ait pu rajouter quoi que ce soit.
Lorsque le bout de la lame déchire le cœur, perce l'oreillette, je vois le sourire de ma mère s'élargir, des images affluent, écho aux flots de sang qui remplissent les poumons fatigués par de si longues années de souffrance.
Je n'écris pas cela pour excuser qui que ce soit, le passé torturé et meurtri de ma mère, sa haine du même type d'homme qui était celui de mon père, la symbolique du talion, ma quête de justice...
Qui suis-je pour comprendre ce qui a fait de ma mère celle qu'elle était. Qui suis-je pour juger la manière dont elle s'est débarrassée de mon père, la même que j'utilise en ce moment.
Un cœur, deux cœurs, combien de cœurs déchirés ?
« C'est facile... C'est si facile... ta mère a tué ton père, a tué plusieurs autres hommes dans les recoins les plus sordides de cette planète... et tu te contentes de rendre justice... »
C'est ce que certains diraient si ma vie était un film ou un reportage à la télé.
Tu parles.
« Une pomme ne tombe pas d'un prunier... elle a ça dans le sang... »
Tu parles encore.
« Combien de personnes a-t-elle déjà tuée de la sorte ? »
Ce n'est pas la question.
« Vous n'avez rien compris, elle fait ça par amour. Elle ne laisse pas sa mère décrêpir des mois de plus, oublier son identité ».
Les gens ne savent rien. Les gens ne savent pas. Des milliards de gens qui meurent sur cette planète et des milliards de vérité. Ce n'est pas parce qu'on finit tous par mourir d'une manière ou d'une autre qu'il y a ces fichues vérités.
Les gens ne peuvent savoir que ce qui leur arrive. C'est tout.
La lame racle légèrement les côtes, je la bascule à nouveau dans le même angle avec lequel je l'avais enfoncée.
La main de ma mère glisse de mon épaule, son regard porte maintenant vers le plafond, une bulle puis un filet de sang coule de ses lèvres presque blanches, figées dans un dernier sourire. Un voile passe devant les yeux. Pas de hoquet supplémentaire. Un voile, c'est tout et c'est la fin.
Je fixe son visage meurtri, ses traits rongés par la maladie, je ne peux m'empêcher de m'arrêter sur les veines, en croix au-dessus de ses sourcils. J'ai les mêmes quand je suis fatiguée.
Un instant, je songe que j'ai de la chance d'être anosmique. Je n'ai pas à supporter l'odeur des médicaments, de la maladie, du corps qui se relâche ou du sang qui perle maintenant sur l'oreiller.
Le sang.
Sereine, je retire la lame et la nettoie sur l'oreiller, je n'ai pas à faire attention à ne pas y prendre des cheveux de ma mère, elle n'en a presque plus.
Tranquille, je range la lame dans son fourreau et je me retourne vers le miroir posé sur la table de chevet.
Je n'ai pas de croix qui se dessine sur mon front.
J'enjambe alors la fenêtre et m'enfonce dans la nuit, sereine.
La nuit noire.
La lune n'est pas pleine, elle ne m'accorde pas ce cliché.


Ben oui, article encore en avance.
Mais voilà. Une autre journée à rien, la fiction est plus vraie que le vrai de toutes les manières bien souvent.
Et si je tentais 100 nouvelles de ce genre ? Hu ?
http://www.lapagedujour.net/aout2014/vingtetunaout2014.htm

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