jeudi 21 août 2014

1,21 m...

Ah, ils rigolent.
Bien sûr.
Ah, ils se foutent de moi parfois et je préfère vous taire le nombre de commentaires ou de surnoms que je me suis fardé toute ma vie. 31 ans. Le premier souvenir à quatre ans, blessant, aigu, et qui ne mérite même pas que je l'étale ici.
La seule chose qui a aidé récemment, c'est qu'un des meilleurs rôles de l'histoire des séries télés soit donné à un nain. Je me demande même si c'est pas le meilleur rôle de toute l'histoire des séries télés, d'ailleurs.
Mais pour l'un d'entre-nous qui en a chié comme c'est pas possible en plus pour y arriver... combien doivent subir le quotidien stupide ?
Stupide, oui.
Un quotidien qui serait certainement moins stupide si les gens étaient un brin éduqués, s'ils savaient passer outre l'apparence.
Bon, c'est sûr, pour l'apparence, Internet peut aider. Les chats, tout ça. Pas pour des trucs de cul, hein. Ou pour des pervers dont ça serait le fantasme de voir des nains copuler. Non, je parle des chats pour philosopher, discuter des passions de chacun.
Moi, j'en ai trois principalement.
Une qui est trop classique pour que je vous la tartine plus que nécessaire : les séries télé. Ça a commencé tout petit, tout simplement parce que je sortais moins que les autres gamins.
Les deux autres sont moins orthodoxes : les volcans et le génie génétique.
Y a aussi un peu l'histoire ou la philosophie... Mais ça, c'était plutôt avant que je ne me mette à internet, des passions qui me rappellent un peu mon enfermement. Vous me direz, ça pourrait en être de même pour les séries télé. Mais non. Avec les séries télé, je m'évadais, je me projetais.
Adolescent, j'ai même découvert le jeu de rôle pour pouvoir explorer le sentiment vécu dans les séries télé mais mon groupe s'est dissous après l'université. Je me rappelle de mon personnage préféré, un barbare de deux mètres avec un slip en fourrure et la capacité de se transformer en ours. « Petit ours brun », c'est comme ça que m'appelait ma maman. Le jeu de rôle aurait pu rester une passion, mais je n'ai pas pu continuer sur table car je me suis retrouvé après les études dans un service d'analyses de données, un peu isolé, dans une sorte de placard avec deux collègues qui n'avaient pas le profil.
Alors je rêve...
Je rêve d'un jour où le génie génétique pourrait permettre de corriger mon achondroplasie et où je pourrai descendre dans la caldeira d'un volcan...
Je rêve souvent.
Le plus souvent, je rêve éveillé, avec mes potes, sur internet, partageant ma passion. J'en ai deux, surtout, un américain et un suisse qui tiennent des blogs de tous les endroits qu'ils ont visités.
Quand je m'endors, les images restent et je ne fais plus un mètre vingt-et-un.
Je ne suis pas un géant non plus.
En fait, je ne suis rien. Ou peut-être un oiseau ou une caméra qui plonge dans le décor, s'envole près des puits de lave, descend les chaudrons ardents.
Vivre pour ses rêves.
Oui, que faire d'autre ?
Trouver d'autres amis hors de la toile ? C'est pas si facile dans un monde qui n'est pas fait pour vous ou quand vous n'avez pas une personnalité exubérante.
Trouver une partenaire, une compagne ? Même réponse. Surtout que ce n'est pas parce qu'on est un nain qu'on devrait se contenter de trouver une naine, vous voyez ?
Mes goûts sont les mêmes que les vôtres. Mes fantasmes aussi. Mais je ne veux pas parler de ces fantasmes là. Ils sont de toutes les manières irréalisables comme la plupart de vos fantasmes.
Ça reste quand même sans doute le plus dur, pour nous, pour toute personne qui a un handicap : trouver quelqu'un qui sait passer outre...
On apprend à être seul.
Et j'ai appris, croyez-moi. J'ai appris.
Jusqu'à ce qu'un jour... un jour... je reçoive un message de la sœur de mon pote suisse.
Un sale message.
Pour m'annoncer la mort de mon pote, intoxiqué par des vapeurs.
Clara.
Clara qui se confie à moi, qui s'épanche sur la mort de son frère jumeau et qui me révèle qu'elle a aussi un handicap : la schizophrénie.
Ouais.
Est-ce que mon destin d'un mètre vingt-et-un était de pouvoir seulement rencontrer une handicapée, est-ce que seuls ceux qui souffrent à l'intérieur, dans la chair ou la tête, sont à même de se rejoindre ?
Je ne crois pas. Je pense que tout le monde peut souffrir, que tout le monde est un volcan. C'est juste la brume imbécile de l'inéducation qui voile les perceptions et empêche certaines vérités.
Enfin... peu importe.
Je ne me fais pas une raison. Je ne préfère pas.
Demain, je pars pour Genève, pour rencontrer Clara. Elle vit dans une ferme. Elle a deux chats et deux moutons. J'ai toujours voulu avoir un chat, mais je suis allergique. Les chats de Clara sont d'une race spéciale, hypoallergénique, ou presque.
C'est con...
Mais c'est ce qui m'a décidé.
Et peut-être qu'ensuite on pourra partir voir l'Etna, si les nouveaux médicaments de Clara sont compatibles avec le voyage. Du moins, c'est le plan.
1 mètre vingt-et-un, en haut de l'Etna.
Putain.
Quel volcan serai-je quand je me trouverai là-haut ?


Plouf.
J'ai une tendresse pour les nains en jeu de rôle et peut-être en vrai aussi.
La page du jour, sinon :

http://www.lapagedujour.net/aout2014/vingtdeuxaout2014.htm

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