Ah la la la...
Je me lève... Comme chaque aube. Je me dirige vers la tour aux reflets d'argent.
Une belle tour. Une grande tour, la plus grande de toutes dans la Cité. Ce matin, au loin, la mer est calme et je ne distingue pas l'écume un peu rosée si particulière aux jours de cendre dans la Cité.
Je caresse le mur de la tour aux reflets d'argent. Je ferme les yeux, je vois les autres endroits où se situe la Tour. Je me focalise sur mon endroit préféré. J'aime cette île, j'aime cette case simple, j'aime ce dépouillement. Juste moi, la nature, le souvenir de l'âme d'un peuple peint sur des rochers, la douceur du vent du nord soufflant sur le plateau d'Ubirr.
Ils n'ont pas l'air d'avoir compris les points d'attache en bas, quels que soient les mondes, quels que soient les 28, quelles que soient les graines qui doivent germer... Ils ne savent pas que la Tour est à la fois Cité et Nexus naturel. Qu'il y a une ligne tracée entre la Cité du temps de l'Homme et la marque du temps du Rêve.
Ils ne savent plus plutôt. Mais c'est normal. Tout est devenu si compliqué depuis que l'un des 28 est devenu l'Ombre, depuis qu'un Oracle est en passe de devenir un 28 et depuis que les voiles se sont déchirés dans la ligne verticale. Avant, c'était simple. 7 échos en vertical et en horizontal. Un par paire d'âmes jumelles, et pour leurs clones aussi.
Là, c'est plus flou, la balance a été perturbée et personne ne m'a remplacé depuis longtemps. hier, j'écrivais une histoire sur le vaisseau parti dans les étoiles ; avant-hier, j'écrivais une histoire sur ceux qui voulaient changer le monde... Mais je dois avouer que ça fait un moment que je n'ai pas écrit une histoire sur ceux qui ont déchiré un des objets sombres, ceux qui se sont sacrifiés avant la fin du cinquième cycle, ceux qui seront là pour la naissance de la ligne verticale.
Je continue et caresse le mur aux reflets ambre. Une belle tour. Je perçois ses deux principaux échos : Ales Stenar sur la côte sud de Skaane en Suède et la deuxième lune de la quatrième planète d'une étoile dont je ne me souviens que de la nomenclature. Je n'aime pas les chiffres. Ils manquent de poésie.
- Bonjour ! Me fait John alors que ma main se raidit sur la pierre froide.
Je n'ai pas sursauté. Nul ne peut me surprendre dans la cité. John me regarde. Il n'a pas l'air surpris par mon apparence. John est souvent surpris, ça je sais, mais pas par moi.
- J'ai apporté mon carnet avec les noms de tous ceux qui ont rencontré les cavaliers.
Il me tend un carnet taché, duquel dépasse morceau de papier collé et bouts d'articles de presse déchirés.
- Je vais encore avoir beaucoup de travail, John.
- Ce n'est pas comme si cela était compliqué, ici... Fait-il en tournant en rond tout en levant la tête.
- Les lunes ne percent pas le ciel de cendre, John.
Il me sourit. Il est déconcertant quand il me sourit. Je lui rends son sourire. Je suis tout aussi déconcertant que lui. Et pour cause.
- Il n'y a pas de mal à souhaiter qu'elles apparaissent. Dit-il alors que le ciel d'un seul coup s'éclaircit et que des rayons lunaires tombent sur lui et moi.
- John...
- Quoi ? Je n'ai pas le droit d'utiliser mon pouvoir ici ? Tu sais bien que c'est le seul endroit où je me sente capable de le faire sans risquer de provoquer un Tsunami qui éveillerait toutes les créatures de l'Inconnu.
- Je sais bien, John. C'est pour ça qu'existe la Cité.
- Tu inscriras bien leurs noms sur ma tour.
- Ce n'est pas encore ta tour, John.
- Tu sais très bien que ça le sera.
Je souris, un peu triste. Être un 28, c'est déjà compliqué. Être John, ça l'est encore plus.
- Tout le monde peut être John. Me glisse-t-il. Tout le monde.
Le cochon. Il est capable de lire dans mes pensées.
- Qui ne serait pas capable de lire dans ses propres pensées, une fois les brumes dissipées ?
- Je ne suis pas que tes pensées, John. Je suis aussi celles de tous les autres.
- Alors, il ne fallait pas prendre mon visage. Il n'y a rien de plus facile pour moi que de te lire lorsque tu es moi.
Il ne rajoute rien. Il ne demande pas pourquoi je prends le plus souvent son visage. Peut-être qu'il sait.
- Qui est dans la Cité en ce moment ? Fait alors John au moment où la lune cesse d'éclairer son visage.
- Ronan.
- Très bien. Je vais boire un coup. Ça fait un moment que je n'ai pas bu de pastis.
- Mais tu n'aimes pas ça, John.
- Ici, j'aime tout.
Je regarde John s'éloigner pour rejoindre la tour aux reflets bleus.
J'ouvre le carnet, page 38 et je lis :
Ceux sur qui ils pouvaient compter.
Cellule Faune, Downtown San Francisco.
Dana Troyle, chef de l'organisation d'observation de l'inconnu sur San Francisco. Formation d'avocate et licence de langues. Efficace, compétente, beaucoup de relations au niveau de la mairie, des flics. Elle a pris contact avec Sarah O'Reily lorsque celle-ci s'est retrouvée toute seule. C'est une amie d'enfance du capitaine Langman. Elle joue au tarot avec Cynthia et Derek Montgomery. Elle n'est pas au courant de la porte et du passage dans la cellule Phénix.
Rousse, cheveux courts, de ma taille, née en 64. C'est jeune pour être chef. Mais c'est ce que disent ses papiers. C'est bizarre parce que Langman, lui, il est de 48.
Dereck Montgomery. Journaliste. Il a rédigé le rapport sur ce qui se passe du côté de Guadalupe. Il est passionné par les chats. Il a cette statue qui mène à la porte du Caire. Les cavaliers finiront bien par le découvrir.
Brun, la voix un peu enrouée, des yeux marrons un peu bizarres qui fixent étrangement. Né en 62.
Harvey Wools. Archiviste. Il n'a pas encore été rencontré. De toutes les manières, depuis sa chaise roulante, il ne va pas souvent sur le terrain. S'il vendait toutes ses cartes de joueur de baseball, je crois qu'il serait plusieurs fois millionnaires. Il a un cousin, Rodney, qui travaille à la maison de la culture. Un cousin qui aura une fille Barbra parce qu'il ne sera pas tué par les coréens que Sarah a tué. Cette fille, elle recevra l'énergie d'un des 28, à Ubirr, lorsque tous se sacrifieront pour "sauver" le monde. Et ça va être comme ça pour plein d'autres personnes que les cavaliers vont sauver ou tuer. Ils tissent la toile et dévident les fils de la destinée. Il n'y a que eux qui puissent changer l'ordre des choses.
Noir, assez ventripotent, yeux très enfoncés, cheveux épars et déjà blancs. Près de 2 mètres quand il n'était pas en chaise roulante. Né en 52.
Nicolaï Spasky. Inspecteur de police. Il n'y a pas grand chose à dire sur Spasky. Le gars semble n'avoir quasiment aucun défaut si ce n'est le jeu. Mais encore... Même là, il sait se tenir. Vu qu'il n'est pas marié et qu'il budgette ses loisirs parfaitement, il n'a jamais eu à accepter de pots de vin comme nombre de ses collègues. Et puis, il a de la chance généralement. Il ne travaille pas tout à fait comme les autres, son travail de flic lui prenant du temps.
Châtain, voix assez clair, yeux clairs aussi. Une bonne tête, un visage doux pour un flic. Né en 61.
John Stark. Infirmier. Il est grand, fort, mais ne sent pas le sable chaud. Lui, il voit pas mal de trucs dans son métier. Il est à l'hôpital. L'hôpital, c'est important. Je sais qu'il a un p'tit problème avec des anti-douleurs mais ce n'est pas comme si je n'avais pas des tas de p'tits problèmes au niveau des médocs moi aussi. Il a étrangement un truc dans le sang qui repousse les vampires. Je ne sais pas ce que c'est. Peut-être que c'est un ange ou un géant.
Grand, baraque, cheveux blonds, yeux clairs. Né en 62. Il est d'origine allemande et certainement scandinave aussi. Il aurait fait un beau guerrier viking en d'autres temps.
Je soupire. Il y a plus de cinquante pages de la sorte dans le carnet. Moi aussi, d'un coup, j'ai envie d'un pastis.
Je range le carnet et me dirige vers le petit estaminet où John et Ronan doivent déjà être en train de s'en jeter un.
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