A une copine du net... Mais j'aurais pu aussi m'adresser directement à toi journal.
Moi j'ai parlé une heure et demie ou presque avec Huguette, qui serrait la main de son mari.
Huguette, elle a laissé aller son mari aller en Indochine il y a quelques années. Elle voulait pas trop y aller, elle était malade de toutes les manières quand son mari y est allé. Quand son mari est revenu, elle a bien vu, Huguette, que son mari n'allait pas trop. Puis sur le coup, au retour, il y a eu la mort de la mère de son mari, son cancer du sein et un an plus tard un parkinson pour son mari.
Et quelques années après le cancer.
Le mari, il a un truc fulgurant, là. Il est allongé, il ne bouge pas. Huguette lui sert la main.
Huguette, elle m'a aussi parlé de son enfance, de la guerre, de son père militaire puis postier mort quand elle avait 7 ans. Il est mort dans la neige. Une embolie ou un anévrisme en faisant sa tournée. Les gens l'ont retrouvé parce qu'il avait eu le réflexe de planter son bâton.
Huguette elle se souvient aussi de sa mère qui a deux oeufs pendant la guerre et propose à sa fille un oeuf à la coque...
- Mais pourquoi tu ne manges pas un oeuf, toi aussi maman ?
- Enfin, voyons chérie, tu sais bien que je ne les supporte pas...
Ce qui n'était pas vrai. Juste un mensonge pour que sa fille ait sans doute un oeuf aussi le lendemain.
Huguette, elle a aussi beaucoup parlé de son Bernard qui va partir et disant qu'elle aimerait autant qu'il ne souffre plus.
Et j'en passe.
Et pour couronner le tout, il y a le voisin de chambre, un type un peu paralysé, bien paralysé au niveau facial et muet, qui peut quand même sourire d'un côté et ne peut plus communiquer qu'avec un feutre et une tablette.
Je lui passe du pschiit dans la bouche. Je lui demande quand même son prénom parce que je sais qu'il va partir, j'ai entendu un médecin passer pour lui demander où il voudrait aller.
Il m'écrit mais moins bien qu'il y a deux ou trois semaines. Il s'appelle Pierre parce que son père un jour est revenu en disant qu'il s'appellerait Pierre comme son père.
Et il écrit aussi un truc incroyable en désignant son voisin et la brave Huguette : "Il souffre".
Ouais. Bernard, il souffre, j'ai entendu le bruit gorgé de liquide à un moment de sa respiration.
Le mec qui souffre, qui peut encore prendre en compassion une autre personne en écrivant : "il souffre".
Je suis resté une heure et demie dans cette chambre.
Bernard, j'espère qu'il sera parti.
Sinon, je reverrai Huguette la semaine prochaine pour la soulager un peu.
Pierre, lui, il sera parti. Dans une maison où il refuse la trachéo. Il m'a sourit quand je l'ai quitté en le saluant. Je lui ai aussi tenu la main deux ou trois fois à Pierre.
Pas à Huguette, Huguette, elle n'arrêtait pas de serrer la main de son mari.
Alors tu sais quoi ?
Je me dis que le moment que j'ai vécu dans cette chambre avec Huguette et Bernard et Pierre, eh ben...
Eh ben c'est quelque chose qui est tellement humain, tellement vrai qu'il faudrait que je m'en souvienne de manière plus précise que les autres fois.
La souffrance sublimée...
L'espoir d'Huguette, sa manière de poser son regard sur la vie. Huguette qui épouse un militaire comme son père l'avait été. Huguette à qui son père a manqué, forcément. Mais en ce temps là, les femmes ne se remariaient pas. Huguette qui se souvient de ce qu'il y avait à la ferme pendant la guerre et puis plus rien au bout de dix ans.
Elle est allée en Espagne et en Grèce aussi, Huguette, en dehors de tous les coins de France, sauf le Nord.
Huguette qui ne veut pas imposer à ses amis le fardeau de l'accompagner à l'hôpital et qui me promet que si un jour elle ne se sent pas d'aller à l'hôpital, il n'y aura pas de honte à le faire même si on a toujours peur de ne pas être là quand la personne s'en va (ce qui a toutes les chances d'arriver, on ne peut être là que le quart du temps à l'hôpital).
Oh bon sang.
On devrait tous pouvoir rencontrer des Pierre, des Bernard ou des Huguette pour pouvoir relativiser ou apprendre encore plus à aimer ou s'aimer.
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