La tache, partie 1

Cher Jonathan,

Cela fait déjà plusieurs mois que nous ne nous sommes pas vus.

Je repense à tout ce que nous avons vécu. Toutes ces portes qui se sont ouvertes devant nous et un vertige me saisit.

Et si tout cela n'avait été qu'un rêve ?

Un rêve qui aurait duré deux ans et dans lequel je me serais imaginée un mari, mon petit Lucian et mon chien. Un rêve qui aurait mal fini, certes, pour ceux qui j'aurais inventé. Mais un rêve seulement.

J'ai pris un chat. Je n'ai retrouvé personne. Je ne suis pas prête pour quelque chose avec ce que nous avons vécus.

Je dois avouer que le discours du docteur Kaupf et son assurance quant à la méthode pour "les repérer" ne me semble plus aussi vive ces derniers jours.

J'ai une tâche qui pousse, Jonathan. Sur le bras gauche, au creux du biceps. Vous savez très bien que cela veut dire deux choses.

Soit je deviens comme vous, soit je me noie dans l'alcool pour enrayer le mal le temps nécessaire de retrouver le professeur Kaupf pour qu'il dispose de ce que je serais devenue.

Je sais que ce n'est pas une bonne nouvelle. Je sais que vous auriez voulu m'épargner cela. Mais il faut croire que la contagion est plus insidieuse qu'on aurait pu penser.

Je me suis permis d'utiliser cette boîte aux lettres parce que je sais que vous la consultez régulièrement, mais j'aimerais autant que notre correspondance future se fasse d'une autre façon...

Vous pourrez me trouver dans la "ville" dont je vous ai parlé, ce soir de septembre, dans le chalet, où trop de verres de rye nous ont conduits à ce que vous savez.

J'espère que vous gardez aussi bien que moi ces souvenirs gravés.

Je fais exactement le travail un peu ridicule dont je vous ai causé. Laissez un message à la "dame aux cheveux blancs", je sais que vous comprendrez. Cela nous sera plus utile pour correspondre au plus vite et la chose sera sécurisée. Comme tous ceux qui sont entrés en résistance, on pourra se contenter de laisser nos messages en mode en "brouillon".

J'ai besoin de connaître tout ce que vous pourriez m'apprendre sur les visions et les états qui accompagnent l'évolution de "la tache".

Je garde espoir, croyez-moi. Je sais que dans mon cas, c'est du 50-50, bien plus que chez tous les sujets infectés...

Nous sommes si peu... Une personne sur mille, sujette à cette forme particulière d'attaque du virus.

Une malédiction, une malédiction toute ma vie. Et c'est cette malédiction qui a des chances de me sauver.

Mais je préfère ne pas en dire plus.

Vous le comprendrez bien, je l'espère, tant que je serai certaine que nos communications ne seront pas plus sécurisées.

Je vous dirai tout ce qui s'est passé dans les derniers mois et les premières images que j'ai commencées à avoir. J'espère que vous pourrez joindre Kaupf et qu'il aura avancé sur ses travaux concernant la manière dont le virus combat "la tache".

Je pense à vous, à la résistance, à tout l'univers contenu dans ce dernier verre de rye, alors que derrière la vitre se formait cette aurore boréale.

Je suis sincèrement désolée d'avoir moi aussi été contaminée ce soir là, où l'on s'était dit que je n'avais reçu aucun éclat. Un léger shrapnel aura dû percer à peine la couche du derme et cela aura suffit sur quelques mois.

C'est triste, je le sais.

Mais considérons le bon côté des choses. Si je bascule du même côté que vous, vous ne serez plus seul. Je vous rejoindrai.

Oui. Vous avez bien lu. Je vous rejoindrai. De toutes les manières, je ne vois pas d'autres alternatives et je sais que vous n'aimeriez pas qu'il y en ait d'autres non plus.

Bien à vous, Jonathan.

Avec tous les sentiments que vous savez.

Sarah.